Août 1981, aéroport de Nice.
De mon voyage en Algérie je rapporte un jasmin que des amis m’ont offert. Problème, les services de la douane et de l’hygiène n’en veulent pas.


A Mohamed et Nassou

Gustave Bonnefoy à la maréchalerie place Caravansérail à Koléa en 1908

GRAND PERE
POURQUOI ES TU PARTI ?

 

Je ne l’ai pas connu, mais aux veillées le soir,
assis dans le jardin, sous la voûte des étoiles,
son fils, mon père, raconte :

« Il est né dans la haute Provence,
au pays de Giono et celui de Pagnol.
Il est né de cette région aride,
la nature y est rude, la survie difficile
les villages se vident, les champs sont délaissés.
Il est parti en sifflant son espoir.
Sur le port de Marseille, les Provençaux sont là,
préparés comme lui, à quitter la patrie.
Certains rêvent d’Amérique, lui c’est de l’Algérie.
Avait-il d’autres choix ?
Au pays des oranges, après bien des déboires,
il fonde sa famille, il a beaucoup d’enfants.
Il façonne le fer, et chausse les chevaux
sous la poussière mordante, du vent, le sirocco.
D’un labeur sans relâche il construit une maison.
»

C’est là que je suis née,
dans le lit de grand père, dans le lit de mon père.
Mais, l’histoire se répète, car j’ai pris le bateau.
Ceux qui veulent la vie prennent parfois le large.
Ont-ils d’autres choix ?
Oh ! frontières, oh ! promesses, oh ! mirages.
C’est bien de votre faute si nous sommes de nulle part.
De ce voyage lointain
j’ai gardé, dans mon cœur, le partage et l’amour.
Mon héritage ne se monnaye pas.
Je suis riche d’avoir nourri mon âme.
Les différences m’ont agrandie.
Merci grand père d’être parti.


Camille BONNEFOY
22/07/2003


LA TRINITE
TERRE D’ACCUEIL

 

 

Toi le déraciné
Voyageur volontaire ou simple réfugié
Si ton cœur trop lourd de tristesse embrasée
Comme l’était le mien avant de me poser
Te brûle la poitrine d’un feu inextinguible

Toi l’étranger
Exilé de ta terre, errant sur les chemins
Si ton âme blessée par la haine des crétins
Comme l’était la mienne avant d’être accueillie
Te torture l’esprit et l’écrase en bouillie

Toi l’immigré
Né hors de la patrie, survivant dans l’oubli
Si ton corps fatigué du poids de tes bagages
Comme l’était le mien avant de prendre ancrage
Te courbe sur la route d’une vive souffrance

Viens
Délaisse les grandes villes
La foule indifférente, arrogante et débile
Fuis cette déferlante, fuis les sombres trottoirs
La misère humaine insupportable à voir

Toi, le déraciné, l’étranger, l’immigré, viens !


Camille Bonnefoy
18/07/2003


Le Jasmin de Koléa

 

Depuis quelque décennies
Dès lors qu’on me l’a remis
Dans le jardin pousse un jasmin
Dans le jardin pousse le jasmin

C’est le jasmin de Koléa

Son voyage fut périlleux
Par des douaniers trop pointilleux
Il a failli m’être enlevé
En pleurs je me suis écriée

C’est le jasmin de Koléa

Oh non ! ne le prenez pas
Oh non ! ne le brûlez pas
Ecoutez le il est vivant
Ecoutez moi car je l’entends

C’est le jasmin de Koléa

Nous avons bu la même eau
La même terre fut notre berceau
C’est le reflet de mon enfance
C’est une gerbe d’espérance

C’est le jasmin de Koléa

Il est soigné, il est discret
Il ne s’impose qu’au mois de mai
Les douaniers compatissants
M’ont permis d’aller de l’avant

Depuis, toutes les années
Dans le jardin au mois de mai
Pousse le jasmin
Le beau jasmin de Koléa


Camille BONNEFOY
samedi 8 février 2003