Extrait du Chapitre de la Thèse de Eric Maye concernant les Hameaux
suisses de Koléa : P.123 et suivantes.
1) Les "hameaux suisses"185 prés de Koléah".
Dès mai 1851, et jusqu'à la fin de l'année, les autorités coloniales
dirigèrent des familles valaisannes dans la région de Koléah, gros
bourg construit après le tremblement de terre de 1825 et situé à
la lisière septentrionale de la Mitidja, sur les pentes du Sahel,
à environ 35 km d'Alger, où elles bâtirent
"3 hameaux, Saighr, Zoudj et Abess, Messaoud et, au pied
de ces
collines, dans la plaine, Berbessa"187
Dans ces 2 premières localités furent installées des familles
très pauvres, tandis que les 2 autres reçurent des familles ayant
des ressources pécuniaires plus conséquentes.
1.1 Saighr et Zoudj el Abess 188.
Le territoire de l'haouch 189 Saighr, situé à 2,5 km à l'ouest
de Koléah, comprenait 120 ha devant accueillir environ 18 familles
et celui de Zoudj et Abess, à 2 km au nord-est de Koléah, 150 ha
pour 26 familles. Commencée en juin, la construction de ces 2 hameaux
fut entreprise par les colons (défrichement) et, bien qu'on fût
dans une zone de colonisation libre -impliquant normalement l'édification
des maisons à la charge unique des colons-, par le génie militaire
et des entre-preneurs privés (avec qui l'administration avait passé
des marchés) 190. Il en fut ainsi parce que les autorités coloniales
y avaient placé des familles sans moyens. On attendant la fin de
ces travaux, ces Valaisans trouvèrent un abri provisoire les uns
sous tentes, les autres dans des baraques étant, comme le décrivait
Charles-André Julien,
"élevées sur terre battue, humides, ventées, envahies de
parasites
et surpeuplées" 191,
ce qui en fit des foyers d'épidémie. En plus de cela, l'administration
leur fournit de vieilles couvertures militairesl'2et, pendant près
d'un an, des rations de vivres.
En octobre, à l'arrivée de quelques nouvelles familles, un rapport
de l'inspecteur de colonisation signalait l'avance des travaux
"A Sahigr [Sahïghr] la maçonnerie en bonne pierre et chaux
de 2 maisons est faite et il ne manque plus que la couverture et
la menuiserie. Il y a de la chaux et des matériaux pour quelques
autres. A Zonds e1 Abess [Zoudj e1 Abess] les fondations en pierre
et chaux de presque toutes les maisons sont sorties de terre de
50 cm. Pour plus d'économie, on continuera avec des briques de terre
crue en faisant les angles et appuis de toiture en pierre. Les colons
suisses, obligés de donner tout leur temps à l'apport des matériaux
et autres travaux pour leurs constructions n'ont pu se livrer à
aucun travail de culture. Du reste, la dureté de la terre leur aurait
rendu le défrichement bien pénible. A Sahigr, comme à Zonds el
Abess, les puits qui donnaient de l'eau ont tari. Heureusement,
il y a presque certitude que les pluies d'hiver déterminent au
printemps prochain des courants d'eau dans les couches de sable
qui ont été traversées lors du foncement de ces puits et nul doute
qu'ils deviendront à peu près intarissables. En attendant, l'obligation
d'aller au loin chercher l'eau nécessaire à l'extinction de la
chaux et à la maçonnerie emploie malheureusement beaucoup de temps.
En résumé, par ce qui s'est fait et se fera encore avant l'hiver,
l'établissement des 2 hameaux suisses est assuré et la commune
de Koléah compte, dans ses annexes, 43 familles de plus» 193
Au sujet de l'état sanitaire, il notait que celui-ci avait été
jusque-là satisfaisant puisque,
"«à part quelques maux d'yeux et embarras gastriques, point
de mortalité, si ce n'est quelques enfants à 1a mamelle [...] et
une femme hydropique194»" 195.
Dans les 2 derniers mois de 1851, qui vit arriver en plus 2 ou
3 familles, l'administration accorda à tous les colons (ils étaient
près de 150 habitants à Zoudj et Abess et 60 à Saighr)
un premier lot de terrains de 2 ha par famille, sur des terres
faciles à défricher, couvertes de broussailles dont les branches,
regroupées en fagots, étaient achetées sur place à raison de 2,50
frs (Fr) la centaine par les chaufourniers et dont les
"«racines se vendent en l'état, ou sont converties en charbons»
"196 .
Achevé le défrichement, pour lequel du reste l'administration
remit 100 frs [Fr] à chaque chef de famille, ces terrains leur servirent
de "jardins" qui furent aussitôt labourés à l'aide des
boeufs mis à disposition par l'administration et ensemencés, opération
qui retarda quelque peu la construction des maisons. Malgré tout,
à la fin de l'année, le même inspecteur pouvait dire au sujet des
2 hameaux, alors "habités" par 47 familles valaisannes
"«17 maisons dont 9 à Zonds et Abess [Zoudj e1 Abess] et
8 à Sahigr [Saïghr] étaient à peu près terminées, 30 autres commencées,
des matériaux, pierres, chaux et bois amenés sur les lieux. »"
197
Petit à petit les villages prenaient forme, avec notamment la
transformation du
"«caravansérail arabe [...] en une église, un presbytère,
une école et un bureau de poste»" 198.
Jusqu'à cette date, l'administration avait déboursé pour ces
2 hameaux (construction des maisons - nourriture des colons - instruments
aratoires -...) quelque 26'323 frs [Fr],Un mois plus tard, soit
fin janvier 1852, 13 maisons étaient habitées à Saighr et 8 à Zoudj
el Abess199. En novembre, Saighr comptait 14 familles et Zoudj el
Abess 17.
Du point de vue agricole, l'année 1852 fut marquée par de nouveaux
défrichements, mais une modeste extension du domaine exploitable.
Si Koléah était décrit comme un gros bourg
"«entouré de beaux jardins où prospèrent toutes les sortes
d'arbres fruitiers connues en Europe et où ne manquent pas non plus
les agrumes» "200
il n'en était pas de même pour la campagne avoisinante qui était
recouverte de fourrés, de broussailles et de buissons. Ce
fut pourtant dans celle-ci que s'escrimèrent les valaisans. De plus,
les plantations effectuées fin 1851 ne donnèrent que de maigres
résultats (7,5 à 8 quintaux de céréales à l'ha) à cause des sols
sablonneux, privés d'engrais (les colons n'avaient pas de bé-tail,
donc pas de fumier). A ces travaux pénibles et longs venaient s'ajouter
des ennuis inconnus,
comme les ravages du chacal,
"« animal destructeur des légumes, des vignes et de la basse-cour
du colon [...] [venant], pendant la nuit, ravager les champs d'artichauts,
de fèves, de mais, de vignes, sans qu'il soit possible aux colons
de pouvoir s'en défendre» "201.
En ce qui concerne les titres de concession provisoires délivrés
à des Valaisans, nous savons202 que 12 d'entre eux (sur 25) le furent
à Saighr 203. Obtenus, comme à Ameur el Ain, bien des années après
l'arrivée en Afrique de leur bénéficiaires (entre mars 1857 204 et
novembre 1860), la dimension des concessions variait 205 de
4 à 7 ha (la plupart étant d'environ 5,5 ha), mais un grand nombre
de celles-ci furent agrandies chacune d'un peu plus de 2,5 ha en
novembre 1860, si bien que les concessions des Valaisans de Saighr
comprirent entre 5 ha et 10 ha (7,25 ha en moyenne). Comme l'administration
avait fait procéder à la construction de leur maison d'habitation,
les colons n'eurent plus à leur charge que la construction d'écuries
ou de hangars et la mise en valeur de leurs terres. Les concessions
accordées en mars 1857 furent affranchies en juillet de la même
année, celles de novembre 1860 (nouvelles ou agrandies) soit en
septembre 1861, soit en janvier 1862.
La création des 2 "hameaux suisses" de Saighr et Zoudj
el Abess fut considérée par les autorités coloniales comme
"«un fait capital» pour la mise en valeur d'un secteur très
marécageux et infesté de paludisme où «pendant les mais d'août et
de septembre l'influence miasmatique est telle que mêmes les animaux
non acclimatés qui séjournent dans le haouch sont également malades»
„.206
1.2 Messaoud et Berbessa.
Dès octobre 1851 l'administration procéda au placement de nouvelles
familles valaisannes dans 2 endroits du Sahel de Koléah, Messaoud
(9 familles regroupant 46 personnes), situé à 4 km à l'ouest de
Koléah, mais plus au sud par rapport à Saighr, et Berbessa2°T(8
familles totalisant 44 personnes), situé à 4 km au sud-ouest de
Koléah. Financièrement plus solides, celles-ci y commencèrent sans
tarder et la construction de leur maison en maçonnerie et les défrichements.
Bien qu'ici ces travaux furent entièrement à leur charge, l'administration
les logea sous des "tente(s) en lambeau"208 et leur accorda
néanmoins une aide (matériaux de construction s'élevant entre 300
et 600 frs [Fr] - rations de vivres jusqu'à la première récolte
-...).
A Messaoud, les concessions de 7 à 15 ha (environ 10 ha en ,moyenne)
209 furent distribuées entre décembre 1856 et 1857
210. 14 colons
valaisans 211
en bénéficièrent, qui durent, en un an, construire une
maison, défricher et cultiver les terres, et effectuer le tracé
des chemins d'exploitation. Au moment de la vérification (mai 1862),
la valeur de leurs habitations, auxquelles étaient parfois annexés
une grange, plus rarement, un puits, fut estimée entre 700 et 2'800
frs [Fr] (environ 1'300 frs [Fr] en moyenne). Les concessionnaires
en devinrent officiellement propriétaires en août 1862.
L'implantation
des colons de Messaoud fut plus facile qu'ailleurs, non seulement
parce qu'ils avaient plus de ressources pécuniaires, mais aussi
du fait de-la bonne qualité des terres et de l'époque de leur arrivée
(septembre-octobre), c'est-à-dire une fois passées les chaleurs
caniculaires.
Sur la trentaine de concessions qui furent attribuées à Berbessa
en décembre 1856 212 , seules 6 concernent des Valaisans
213.
De 6 à 14 ha (un peu moins que 10,5 ha en moyenne)214, ces concessions,
sur lesquelles leurs propriétaires durent accomplir avant juillet
1857 les mêmes clauses résolutoires que celles demandées aux colons
de Messaoud, furent vérifiées en septembre 1860. Les habitations
qui y avaient été construites furent estimées entre 800 et 3'500
frs [Fr] (environ 2'000 frs [Fr] en moyenne). A côté de leur maison,
les colons valaisans avaient souvent bâti une écurie ou un hangar,
plus rarement un four ou un puits. outre les cultures que l'on trouvait
un peu partout, la commission de vérification relevait la création
d'un magnifique verger constitué parfois de plus de 200 arbres
fruitiers par concessionnaire. Du point de vue du sol, les colons
de Berbessa furent également parmi les plus favorisés
"Les terres de Berbessa, situées en grande partie dans la
plaine, sur les bords du Mazafran, étaient fertiles et plus faciles
à défricher que celles du Sahel. Aussi, tandis que les colons des
autres hameaux suisses furent en proie à une noire misère et obligés
de solliciter des secours de l'administration, ceux de Berbessa
purent dès le début se suffire à eux-mêmes.215
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185 C'est sous cette désignation qu'étaient souvent nommées ces
petites localités des environs de Koléah, parce que, dans un premier
temps, elles ne furent peuplées que de familles valaisannes -
186 Ile se trouvaient donc située dans le département d'Alger,
arrondissement de Blidah, district de Koléah, commune de Blidah.
187FANC, julien : La colonisation de la Mitidja, p. 427. 188 Cette
localité prendra, avant la fin du XIXe siècle, le nom de St-Maurice.
189 L'"haouch" était une Communs composée de plusieurs
hameaux.
190 La participation de l'Etat s'éleva ainsi à près de 7'000
frs [Fr) (Cf. ANOM Département d'Alger 2 M 164 a : Titres de propriété
(Herbassa).).
191 JULIEN, Charles-André : Op. cit., t. 1, p. 369.Les constructeurs
de la France d'Outre-mer 1946 Paris Corréa
192 Cf. ANM F 8o 1391 : Lettre du gouverneur général par intérim
au ministre de la guerre (Alger, 14août1851). 193 Rapport du 3e
trimestre 1851 de l'inspecteur de colonisation sur la 3e zone de
colonisation (sahel de Koléah) (Koléah, octobre 1851) cité par GUICH0NNET,
Paul : op. cit., pp. 29-30.
194 C,est-à-dire atteinte d'une accumulation de sérosité (liquide
analogue à la lymphe) au niveau d'un organe. Rédigé début octobre
1851, ce rapport ne pouvait signaler le décès, mi-octobre, d'un
homme d'une trentaine d'années, et qui fut malheureusement suivi
par une série d'autres.
195 Rapport du 3e trimestre 1851 de l'inspecteur de colonisation
sur la 3e zone de colonisation (Sahel de Koléah) (Koléah, octobre
1851) cité par GUTCH0NNET, Paul : Op. cit.,p. 29.
196 CV du dimanche 14 juillet 1851, p. 2.
197 Rapport du 4e trimestre 1851 de l'inspecteur de colonisation
sur la 3e zone de colonisation (Sahel de Koléah) (Koléah, 31 décembre
1851) cité par GUICHONNET, Paul Op. cit., p. 30.
198 Ibidem.
199 Cf. ANOM Département d'Alger 2 M 164 a : Op. cit..
200 GUICHONNET, Paul : Op- cit., p. 28.Les Valaisans etla colonie
de la Mitidja 1972
201 Rapport du 3e trimestre 1851 de l'inspecteur de colonisation
sur la 3e zone de colonisation (Sahel de Koléah) (Koléah, octobre
1851) cité par GUICHONNET, Paul : Op. cit., p. 30.
202 Ici et pour tous les renseignements qui suivent, Cf. ANCM
Département d'Alger 2 M 165 b : Titres de propriété (Saighr).
203 Quant à Zoudj et Abess, nous n'avons pu retrouver aucune
indication se rapportant aux concessions accordées.
204 1 lot à bâtir de 32a à 1 ha (d'environ 75 a en moyenne),
1 lot à cultiver de 3 à 5 ha (d'environ 4 ha en moyenne), 1 lot
de prairie (de 1 ha).
205 L'étendue de la concession était, comme pour la colonisation
officielle, en rapport avec les moyens d'action du colon.
206 GUICHONNET, Paul . Op. cit., P. 29.
207 Berbesea faisait partie du département d'Alger, arrondissement
de Blidah, district de Koléah, commune de Tefaschoun.
208 AEV DJP 193 35 . Affaire Taidore Marclay (1856-1857).
cultiver (entre 4 et 11 ha, avec une moyenne de 7 ha) et 1 lot
de prairie (d'environ 1 ha 50 a).
210 Ici et pour les renseignements qui suivent, Cf. ANOM Département
d'Alger 2 M 165 a Titres de propriété (Messaoud). Hélas, seule les
titres de A à S ont été conservée. 211Ce chiffre -plus élevé que
le nombre de familles qui y furent installées en octobre 1851- s'explique
par le fait que dans les ansées 1850 les familles valaisannes se
déplacèrent beaucoup d'un village à l'autre du Sahel.
204 Le village comptait alors 82 habitante, de différentes nationalités
(Cf. FRANC,
Julien : La colonisation de la Mitidja, p. 427).
215 Ici et pour les renseignements qui suivent, Cf. ANCM Département
d'Alger 2 M 164 a op. cit..
214 E1les comprenaient 1 lot à bâtir entre 1 et 2 ha (environ
1 ha 75 a en moyenne), 1 lot de jardin entre 14 et 15 a (environ
14,5 a en moyenne), 1 lot à cultiver entre 4 et 7 ha (environ 6,5
ha en moyenne) et l lot de prairie entre 75 a et 2 ha (environ 1,25
ha en moyenne).
215 Franc, Julien . La colonisation ds la Mititdja, p. 427.
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